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Comment les bactéries exportent nitrates et phosphates

Légende
Voici tous les éléments qui vont entrer en scène dans l'explication qui suit.
A gauche les corps simples, substances chimiques qui ne sont composées que d'un type d'élément chimique.
Une molécule est composée de plusieurs atomes identiques ou différents.
A droite les corps composés, substances chimiques constituées d'atomes appartenant à des éléments chimiques différents.
Par exemple le phosphate est un corps composé d'un atome de Phosphore P et de 4 atomes d'oxygène O
pour cette raison on le note PO4
On appelle milieu aérobie un environnement où on trouve de l'oxygène sous forme de molécules de dioxygène (O2), et milieu anaérobie un environnement où il n'y a pas de dioxygène.
La périphérie des pierres poreuses, les couches supérieures du sable ainsi que les anneaux de céramique, les bioballes en plastique et aussi la mousse et le perlon sont des milieux aérobies.
Les couches profondes des pierres poreuses et du sable sont des milieux anaérobies.
Respiration
Pour obtenir de l'énergie toutes les bactéries ont besoin de carbone qu'elles brûlent (réaction exothermique), pour cela elles ont besoin d'oxygène :
- celles qui vivent en milieu aérobie utilisent l'oxygène O2 dissous dans l'eau.
- celles qui vivent en milieu anaérobie utilisent l'oxygène disponible dans les nitrites NO2- ou les nitrates NO3-.
Quelle que soit leur source d'oxygène, les bactéries ont besoin d'une source de carbone sous forme de matière organique et produisent du gaz carbonique CO2
Le cycle de l'azote
Comment les nitrates arrivent-ils dans nos bacs ?
Initialement il s'agit de déchets, restes de nourriture, déjections des poissons et autres animaux, animaux et coraux morts, ... qui se dégradent principalement en ammonium NH4+ qui contient donc de l'azote N.
Première phase : nitrification
Les bactéries aérobies, qui disposent d'oxygène O2 dissous dans l'eau, l'utilisent pour oxyder l'ammonium NH4+ en nitrite NO2- (nitrosomonas) puis en nitrate NO3- (nitrobacter).
Deuxième phase : dénitrification
Les bactéries anaérobie pseudomonas qui ne disposent pas d'oxygène sous forme O2 mais qui en ont besoin pour leur respiration prélèvent cet oxygène des ions nitrite NO2- ou nitrate NO3-.
Elles libèrent ainsi l'azote N2 qui est un gaz qui finira par "s'évaporer" dans l'atmosphère.
Métabolisme
Pour leur reproduction les bactéries ont besoin de multiplier leurs cellules qui contiennent du carbone, de l'azote et des phosphates; ces phosphates imbriqués dans les molécules organiques sont appelés "phosphates organiques"; ils proviennent d'ions phosphate minéraux ("ortho-phosphates" = "inorganiques") PO43- dissous dans l'eau que les bactéries utilisent pour construire leurs cellules.
A noter que nos tests colorimétriques ne mesurent que les ortho-phosphates, une fois intégrés dans les bactéries ils ne sont plus mesurables.
Les phosphates PO4 proviennent de matière organique morte et entre autres de la nourriture qu'on distribue.
Les bactéries aérobies du système ont besoin d'ammonium et d'ammoniac pour leur croissance, ammonium et ammoniac qu'elles prélèvent dans l'eau avant que ces derniers ne se dégradent en nitrites et en nitrates.

Lorsque ces bactéries meurent elles se décomposent en différentes molécules qui se retrouvent dans l'eau, ces molécules contiennent donc de l'azote et des phosphates.
Il se fait que ces molécules sont amphiphiles càd qu'elles présentent un côté hydrophile (qui aime l'eau) et un côté hydrophobe (qui fuit l'eau), indiqués par les signes + et - sur le schéma ci-contre; dans un système berlinois elles sont ainsi piégées par l'écumeur dont le principe consiste à produire de nombreuses bulles que les molécules amphiphiles apprécient particulièrement parce qu'en s'installant à la surface de la bulle elles peuvent avoir leur côté hydrophile dans l'eau et leur côté hydrophobe hors de l'eau.
L'azote et les phosphates contenus dans les molécules amphiphiles sont donc exportés avec les bulles.
Dans un Jaubert ces molécules se font piéger par l'oxyde ferrique [*].
Le schéma en encart montre comment les molécules amphiphiles (A) qui comportent une "tête" hydrophile et une "queue" hydrophobe se rassemblent à la surface de l'eau (B).
Dans l'écumeur elles se regroupent autour des bulles (C) avec leur tête dans l'eau (la paroi de la bulle) et leur queue dans l'air (dans ou à l'extérieur de la bulle).
Les molécules amphiphiles sont ainsi capturées par les bulles et se retrouvent dans le godet : c'est l'écume.

Conclusions
Pour respirer toutes les bactéries ont besoin d'oxygène et de carbone, d'où les méthodes sucre, Vodka, NO3:PO4:X, VSV et consorts qui permettent aux bactéries de vivre en leur apportant le carbone nécessaire.
Les bactéries aérobie trouvent l'oxygène dans l'eau; les bactéries anaérobies le trouvent dans les nitrates et les phosphates.
Voici à quoi pourraient ressembler les réactions globales, le processus réel étant nettement plus complexe
  1. Nitrification
    1. Nitrosomas : 2 NH4 + 2 C + 6 O2 => 2 CO2 + NO2 + 4 H2O
    2. Nitrobacter : 2 NO2 + C + 2 O2 => 2 NO3 + CO2
  2. Dénitrification par les Pseudomonas : 2 NO3 + 3 C => 3 CO2 + N2

Élimination des Phosphates
Pour pouvoir se reproduire les bactéries ont besoin de phosphore qu'elles trouvent dans les phosphates dissous dans l'eau (ortho-phosphates).
Pour réduire les ortho-phosphates les bactéries les transforment en phosphates organiques qu'elles enfouissent dans leur "chair".
Nos tests colorimétriques ne mesurent que les ortho-phosphates dissous dans l'eau, pas ceux enfouis dans les cellules des organismes vivants.
Quand les bactéries meurent, elles se dégradent en molécules amphiphiles qui finissent par se faire capturer par l'écumeur et les phosphates qu'elles contiennent avec elles.
Élimination des Nitrates
Le cycle de l'azote permet de réduire une grande quantité de déchets organiques qui passent par une phase nitrates que nous mesurons dans l'eau.
Pour se reproduire les bactéries puisent les atomes d'azote N nécessaires à la formation des composés azotés organiques (acides aminés, protéines etc…), elles contiennent donc de l'azote organique mais pas sous forme de nitrate.
L'écumeur n'exporte donc pas de nitrate, ni sous forme inorganique car non amphiphile, ni sous forme organique car il n'y en a pas dans les bactéries.
Une fois que la bactérie est "née" et qu'elle a fixé un peu d'azote elle respire pendant toute la durée de sa vie en dégageant de l'azote en bien plus grande quantité que ce qu'elle a fixé et qu'elle libérera à sa mort via l'écumeur.

Ce cycle de l'azote comporte une phase aérobie, les bactéries qui y participent trouvent un milieu favorable à la périphérie des pierres poreuses dites vivantes justement parce qu'elles abritent des bactéries, les couches supérieures du sable ainsi que les céramiques, les bioballes et aussi la mousse et le perlon.
Les bactéries qui interviennent dans la seconde phase (anaérobie) trouvent refuge dans les couches profondes des PV et du sable.
A noter que les autres milieux cités (céramiques, bioballes, mousse et perlon) sont qualifiés de "nids à nitrates" car étant fortement irrigués (donc oxygénés) ils participent bien à la phase aérobie mais pas à la phase anaérobie : ils produisent donc des nitrates mais n'offrent pas les moyens de les réduire en azote libre.

Pour que tout ceci fonctionne les bactéries ont donc besoin à la fois d'oxygène, de carbone, d'azote (sous forme d'ammonium, de nitrites ou de nitrates) et de phosphates.
Si l'un des 3 vient à manquer le processus s'arrête (Loi de Liebig).

Un écumeur est incapable d'exporter les nitrates et phosphates inorganiques dissous dans l'eau.
Un écumeur exporte un peu de phosphates et un peu d'azote; la phase anaérobie du cycle de l'azote exporte beaucoup de nitrates.
Par contre en absence d'écumeur les molécules amphiphiles provenant des bactéries mortes, de la nourriture non consommée, ... vont finalement se dégrader en azote et phosphore dissous, les taux de nitrates et de phosphates vont donc augmenter, mais dans le cas des nitrates pas autant que si on pouvait arrêter le cycle de l'azote.

Faut-il rincer la nourriture congelée ?
  1. on distingue 3 types de phosphates :
    1. les phosphates qui font partie de la matière organique, notamment dans la nourriture congelée elle-même; on les appelle "phosphates organiques"; il n'est pas possible de les séparer de la matière organique sans détruire celle-ci;
    2. les phosphates insolubles car associés à d'autres éléments minéraux, par exemple Phosphate de fer FePO4, Phosphate de calcium Ca3(PO4)2, ...; on en trouve sous forme de précipité dans le sable par exemple par suite d'utilisation de résine ferrique anti-phosphate; ils sont inertes sauf si le pH diminue localement : l'acidification va dissoudre ces phosphates précipités;
    3. les phosphates dissouts dans l'eau sous forme ionique PO4³? qu'on appelle Orthophosphate; ce sont ceux qui sont nuisibles, en trop grande quantité, pour les coraux.
  2. Moyens de mesure des phosphates
    • Nos tests colorimétriques mesurent seulement les orthophosphates (= dissouts dans l'eau de l'aquarium).
    • Les tests ICP mesurent les orthophosphates + les phosphates organiques qui se trouvent dans les organismes en suspension dans l'eau; ces micro-organismes sont détruits par la méthode ICP, les phosphates qu'ils contiennent se dissolvent; l'ICP mesure ensuite tous les phosphates dissouts (orthophosphates + organiques détruits).
  3. Dans un cube surgelé on trouve 2 composants :
    1. la nourriture elle-même (krill, artémias, ... et aussi les granulés) qui est essentiellement de la matière organique dont les poissons vont se nourrir; comme toute matière organique elle contient des phosphates organiques : une fois digérés par les poissons ils vont se retrouver dans leurs excréments qui, une fois décomposés libéreront des orthophosphates, on n'y peut rien, la seule solution pour les éviter est de ne pas nourrir les poissons;
    2. l'eau qui entoure la nourriture lors de la congélation contient des phosphates dissouts (othophosphates) qui sert à augmenter la teneur en eau dans la chair : si on ne l'élimine pas elle va se retrouver directement dans l'eau de l'aquarium.
Il y a quelques années j'avais fait ce test : laisser fondre dans 100 ml d'eau
  • un cube dégelé non rincé : > 2,5 ppm (overflow du checker) soit plus de 0,2 mg de PO4 par cube;
  • un cube dégelé rincé : 0,14 ppm soit 0,014 mg de PO4 par cube : plus de 6 fois moins que le non rincé;
  • une dose de Maripearl : 1,49 ppm soit 0,15 mg de PO4 dans une dose : 10 fois plus que le congelé rincé.
Afin de limiter l'apport inutile de phosphates il me semble donc opportun de retirer l'eau de congélation ce qui peut être fait de 2 manières
  1. laisser lentement décongeler et s'égoutter les cubes;
  2. décongeler les cubes rapidement sous un filet d'eau.
Il n'est donc pas nécessaire de rincer les cubes congelés mais il est souhaitable de retirer d'une manière ou d'une autre l'eau qui a servi à la congélation.
Toutefois rapporté au volume du bac la quantité de PO4 est négligeable : le fait de ne pas rincer apporte au moins 0,2 mg de PO4 par cube, j'en ajoute 4 par jour soit 0,8 mg de PO4 pour 900 litres d'eau ce qui fait 0,0009 ppm : il faudrait 3 ans pour augmenter le taux de PO4 de 1 ppm.
Comme il faut de toute façon décongeler les aliments, au risque de brûler la bouche des poissons, autant les laisser s'égoutter; en les rinçant je ne jette que l'eau de congélation, pas la matière organique qui constitue les aliments.

[*] Ce que dit Jean Jaubert lui-même La méthode Jaubert.
La couche superficielle des sédiments est bien oxydée (bioturbation) et va constituer une barrière efficace s'opposant au transfert du phosphore des sédiments vers l'eau. Le Fer contenu dans la zone oxydée se trouve à l'état d'hydroxyde ferrique, qui fixe très fortement le phosphore par adsorption ou complexation, et l'empêche de traverser cette couche. On a petit à petit enfouissement du Phosphore. Par contre, si le dioxygène vient à manquer à l'interface eau-sédiment, les hydroxydes ferriques sont réduits et la barrière se dissipe, le phosphore est diffusé librement dans l'eau; dans un bac Jaubert bien équilibré et correctement brassé, le phosphore est séquestré aussi longtemps que l'aquarium fonctionne.